Champs de nuit
de Jamal Boushaba
(Le Fennec). C’est forcément avec beaucoup d’émotion que l’on parcourt ce Champs de nuit qui résonne comme
un chant du cygne. Le recueil de poèmes sonne comme un testament, dans lequel
notre trublion de la scène intellectuelle marocaine s’avoue un amoureux
malheureux mais ébloui et un amateur de mystères, de lumière et de leurs clairs-obscurs.
Même s’il garde cette fameuse distance, souriante et acide, qu’il aimait à maintenir
avec le monde – sauf celui de la beauté -, le voilà se revêtant d’un lyrisme
aussi étonnant que vrai et juste : son amour des mots l’a conquis et
terrassé, il se laisse aller à leur résonnance, à leurs brillances, à leurs
abymes. L’intellectuel engagé dans les froideurs de la postmodernité libérale dévoile
donc ses questionnements sur la transcendance et, ce que l’on reçoit avec un
immense plaisir, sur toutes les nuances de la suavité du langage. Il laisse la
beauté du monde s’écouler par sa plume, sans retenue, sans fausse pudeur, sans
flagornerie. Ce recueil est un testament, mais aussi une confession, où « le
temps est un nœud coulant ». Il faut donc aller à l’essentiel et finalement
s’avouer que « j’aurais voulu être beau ou jeune ou fort / c’est-à-dire confiant. »
La pensée est fragilité. Il nous livre les siennes dans ces quelques pages, si
pertinemment accompagnées des magnifiques photographies de Deborah Benzaquen, son
univers hyper-urbain, violent, décadent, viril et sensuel… tellement à l’image
de ce Casablanca dont était, jusqu’à la quintessence, Jamal Boushaba. « Pour
combien de temps encore ? / Si loin que plus rien ne m’atteint / Corps
endolori au sortir d’une nuit / ni vainqueur ni vaincu mais l’insomnie / Enchevêtrement
de mots peut-être un poème encore un / Ultime cigarette / Volutes pures ombres
chinoises sur le mur / Et ce lit navire rescapé d’un naufrage mille fois répété
// La ville engourdie aux murs blancs et gris ni blancs ni gris sous le ciel
aquarelle / Fenêtres embuées fermées sur de fades secrets des bonheurs sans
odeurs solitudes additionnées / Des chiens sans maîtres ni destins aboyant leur
instinct pour un temps retrouvé // Ma seule réalité est une absence commise //
Te souviens-tu ? Au début tu n’étais qu’un rire dévalant l’escalier »
(Poème XIX).
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