Un bref instant de splendeur


 

d’Ocean Vuong (Gallimard). Voilà un très beau roman épistolaire. Une façon de renouer, tout en délicatesse, avec ce lyrisme qui donne chair à l’expression des sentiments. Ocean Vuong n’a pas peur des mots, il n’en est pas avare, il nous donne tout ce qu’il peut pour peindre l’infinité des nuances des sentiments, qu’il ne craint pas non plus. Il aime et il le dit. Il aime d’amour et il aime le monde tel qu’il va, cahotant, et la vie forcément couverte de blessures. Il a le courage de sa grâce et de sa sensibilité, comme il a le courage d’en dépeindre les gradations, les éblouissements, les petits secrets, avec des élans qu’aujourd’hui plus personne n’ose. Le récit se trame, en mélangeant scènes et époques avec une rare subtilité, s’émancipant continuellement de la linéarité du genre aux lois duquel il se soumet finalement très peu, tout en dépeignant une forme de quatuor d’aimants : le narrateur, qui devrait s’appeler Jack, et qui dépeint son enfance et sa jeunesse parmi les siens, ainsi que sa formidable histoire d’amour et d’édification ; son aimé, Trévor, un petit voyou de banlieue, moitié paysan moitié bricoleur, fils d’un veuf alcoolique, fort de caractère et qui finira par succomber d’une overdose, devenu héroïnomane en prenant les médicaments qu’on lui avait prescrits après un accident de la route ; la grand-mère Lan, qui a traversé les bombardements au napalm de la guerre du Vietnam comme on le fait d’un cauchemar, obligée à se prostituer, à des violences innommables que l’on garde toujours au fond de soi et qui, finalement, porteuse de tout l’amour du monde pour son petit-fils, n’a jamais vécu que la survie ; celle à qui Jack s’adresse en lui écrivant, Rose, sa mère, symbole de l’émigration, qui se bat pour donner un toit et du pain à sa famille, fragilisée par les produits chimiques qu’elle utilise pour son travail de manucure, violente, un peu folle, décidément désespérée. Les récits de leurs vies, de leurs espoirs, de leurs échecs, de tout ce qui fait qu’ils sont humains, de leurs batailles et surtout de leur beauté, s’enchâssent et se mêlent pour donner un roman riche de transports amoureux, de mélancolie, de désir et de grandeur, d’acceptation et peut-être de soumission aux lois du destin. La vie telle que célébrée quand on en a accepté les gouffres. « Il y avait des couleurs. Oui, il y avait des couleurs que je ressentais quand j’étais avec lui. Pas des mots – mais des nuances, des clairs-obscurs. /  Une fois, nous avons garé le pick-up au bord d’une route et nous sommes assis contre la portière conducteur, face à une prairie. Bientôt nos ombres sur la carrosserie rouge se sont transformées et épanouies, tels des graffitis mauves. Deux Whoppers double cheese tiédissaient sur le capot, le papier qui les enveloppait grésillait. As-tu déjà eu l’impression qu’on te coloriait quand un garçon te trouvait avec sa bouche ? Et si le corps, au meilleur de lui-même, n’était qu’une envie de corps ? Le sang qui se précipite vers le cœur juste pour être expulsé encore, qui comble les chemins, les canaux autrefois vides, les kilomètres nécessaires pour nous rapprocher l’un de l’autre. Pourquoi me suis-je senti d’avantage moi-même au moment où je tendais la main vers lui, suspendue dans les airs, qu’après l’avoir touché ? / Sa langue suit le contour de mon oreille : le vert parcourant un brin d’herbe. / Les burgers commençaient à fumer. Nous les avons laissés faire. » (Traduit de l’anglais – américain - par Marguerite Capelle)


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