Les portes de Thèbes
de Mathieu Riboulet (Verdier). En voici la notule que
j’ai publié sur mon compte Facebook : Monumental ! Le dernier opus de
Mathieu Riboulet, rédigé juste avant que l’auteur ne nous quitte, constitue une
œuvre pour le moins testamentaire, évidemment crépusculaire et des plus
troublantes, qui ne peut que nous pousser dans nos plus obscurs retranchements.
L’écrivain apprend sa maladie - un cancer d’une forme grave - dans le même
temps que se perpétuent les attentats parisiens de 2015. Dès lors, de fragment
en fragment, en d’incroyables allers et retours dans un temps comprimé et en
permanence réévalué, Mathieu Riboulet va dresser un insensé calendrier de sa
mort, mise en échos avec celles des sept terroristes et celles de leurs cent
trente victimes, avec les accords Sykes-Picot un siècle plus tôt, les paraphes
de Llyod George et de Clémenceau, le partage du monde comme un équarrissage, la
chute de l’empire Ottoman et les rêves d’Arabie heureuse, la décolonisation et
la guerre d’Irak, celle de Serbie et celle de la Syrie, l’effondrement du Proche
Orient et les millions de corps d’hommes qui s’en enfuient, de cadavres qui
s’en écoulent… intensément genétien, il évoquera aussi l’amour de jeunes
émigrés, robustes et d’une fière timidité, qui auront été les pères des
terroristes, l’amour pour ceux-là mêmes, sorte d’archanges d’une folie, d’une
déshérence, qui accompagnent la fin plus qu’ils ne la suscitent, la fidélité à
la beauté pleine d’évidence d’un beau et simple jeune Yougoslave, le désir, le
plaisir, des promesses d’un monde meilleur et des rêves non tenus… Un chant
d’un lyrisme comme il n’est plus possible de l’écrire, dans une langue qui,
sans qu’on sache ni pourquoi ni où, part en éclats, glisse en poèmes, défaits
la syntaxe pour vite aller dire l’essentiel, ne pas le manquer, toucher au cœur des choses avec la puissance, la
lumière, le fracas, la destruction, l’éclat, la beauté de la foudre. L’œuvre
d’un mort qui peut oser. Aussi gigantesque que cette errance dans Thèbes, cité
des morts et des temples, où est sacrifié tout ce qui aurait pu rester de doute
sur ce que nous sommes et ce qui restera de nous, puisque une fin est
assurément proche. « Djibril ou Hicham, en quel lieu, à quelle
heure et en quelle occasion la joie qui te portait est devenue mauvaise. Dis-le
comme un serment, dis-le comme un secret, dis-moi comment ta peine a pris le
nom de Dieu, t’a insufflé la force de devenir fantôme. Dis-moi de quoi est fait
l’air que tu respires, et les hauteurs atteintes qui te rendent invincible
décris-les-moi d’un mot, d’une phrase, d’un sourire, à moi qui n’entends pas le
langage des armes. Fais donc cela pour moi, que tu ne tueras pas, je ne
divulguerai ce secret à personne, l’emportant avec moi il m’aidera, qui
sait ? à affronter le mal quelque visage qu’il prenne, à ne pas regretter
d’avoir vu Thèbes en ruines. Ferme les yeux Hicham, écoute recueilli le
bruissement des ruines, les murmures des gravats, le passage des fantômes,
cohorte de nos frères, contemple pour un instant tes œuvres de poussière et
ouvre-moi les bras. »
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