« Avant que j’oublie » d’Anne Pauly
Avant que j’oublie d’Anne Pauly (Verdier). Anne
Pauly entreprend de raconter la mort de son père, alcoolique, violent, tendre
et plein d’humour et d’amour ; elle veut se rappeler, à elle-même, et
partager avec nous le souvenir des longues semaines de la maladie, l’instant de
la séparation, les obsèques et les mois sans fin qu’il faudra pour se remettre,
se recréer un monde sans père et sans parent. Devenir orphelin. Anne Pauly revient
aussi sur des passages de son enfance, plus ou moins malheureux et bien souvent
heureux. Elle nous emmène lentement, mais avec l’assurance d’un grand conteur,
dans tout ce qui fait son univers. Elle a les mots justes, ceux qui font que l’on
comprend, que l’on partage, que sa propre expérience devient nôtre ; elle
a une exigence de vérité, de justesse, qui pousse son récit à atteindre notre
propre histoire. Il y a énormément d’intelligence dans cette œuvre, l’intelligence
de savoir se mettre à nu, de se dévoiler, pour que ce qui est écrit constitue
une vérité venant à la rencontre de tous ceux qui ne sont capables que de silences.
Sa langue, très rock’n roll, à la façon de celle d’une Virginie Despentes – l’influence,
si positive et constructive, est claire – trouve les mots qu’il faut, les
intonations qui feront mouche, une oscillation entre une langue parlée, vernaculaire,
et un savoir-faire littéraire, lyrique presque parfois, qui n’a rien à envier
aux meilleurs faiseurs. Ce récit est un bloc de vérité, qui nous conduit dans
tous les possibles de notre amour d’enfants, les impossibilités aussi et
surtout, et dans ceux du deuil. Il s’agit donc bien, ici, d’un grand roman. « Le
reste du temps, les mous, les mesurés, les polis et les naïfs me sortaient par
les yeux. En plein milieu des « débats » sur le mariage pour tous,
dans une réunion de crise des groupes LGBT, j’avais méchamment envoyé chier
deux militantes nouvellement déclarées, des Bécassine grandes écoles au poil
soyeux et à la veste bien coupée, qui venaient de se découvrir minoritaires et
qui, alors même qu’on se prenait des seaux de merde depuis des semaines de la
part de psychiatres, de curés et de réacs de tous bords, socialistes inclus,
prônaient les vertus du dialogue, trouvaient efficace de distribuer des tracts
contre l’homophobie et utile de nous expliquer à nous autres, pauvres précaires
aux VAE incertaines, comment nous organiser politiquement. Des tracts ? avais-je
couiné avant de faire violemment tomber un tabouret. C’est l’heure de sortir
les barres de fer, et vous, vous voulez faire des tracts ? Les gens nous
traitent de monstres, de malades, de pédophiles, et vous, vous voulez faire des
tracts ? Mais dans quel monde vous vivez ? avais-je suffoqué avant d’être
exfiltrée par Emilio vers le bar le plus proche. Au bout de quelques verres, j’avais
pleuré comme une poivrote et j’étais rentrée me coucher. Le lendemain, on m’avait
fait les gros yeux par SMS mais j’en avais rien à foutre : je m’étais
peut-être trompée d’endroit mais, d’une certaine façon, répondre à ces
niaiseries de winners qui découvrent en touristes le pays de l’Injustice avait
été une modeste manière d’honorer sa mémoire de vaincu. »
Commentaires
Enregistrer un commentaire