« Le fond de la jarre » d’Abdellatif Laâbi

 

Le grand Abdellatif Laâbi nous invite, avec ce récit, à parcourir avec lui sa jeunesse au cœur de la médina de Fès. Son père est commerçant dans un grand souk, comme il se doit ; sa mère a une personnalité renversante, bien évidemment. Le poète nous conduit au cœur de ce que la société fassie de classe moyenne et éduquée, d’avant l’Indépendance, présente de plus classique. À la façon d’un Pagnol chérifien, il nous raconte les premiers pas dans le labyrinthe de la vieille ville, la découverte du souk et celle du commerce des hommes, la vie honorable de la maison, les premiers pas dans une école franco-marocaine, les visites au hammam, les luttes pour l’Indépendance, l’exil du Sultan et le retour triomphant du Roi, les nouvelles à la radio et la découverte des Lettres. C’est une véritable carte-postale qu’Abdellatif Laâbi nous envoie des tréfonds de sa mémoire, dans une langue simple, claire, efficace. On lit ce récit comme on a pu parcourir avec bonheur Un sac de bille ou Vipère au poing. La narration, qui ici bien entendu n’est en rien révolutionnaire, d’un classicisme exemplaire, nous prend gentiment par la main et nous fait passer derrière le voile qui couvre l’intimité de la vie d’une ancienne famille, tout ce qu’il y a de plus honorable : l’émotion est là où l’on sent ce ton si juste que sait créer Laâbi. « Une fois à l’école, Namouss assiste à un spectacle inattendu. Les élèves qui l’ont précédé sont alignés dans la cour. On les fait avancer un a un devant un monsieur qui porte une espèce d’ustensile sur le dos. Relié à l’ustensile, une petite trompe munie d’une pomme. Les enfants sont obligés de se déshabiller et de ne garder que leur short. Ceux qui portent la jellaba sont bien marris, car l’usage du slip est rare. Ils doivent donc exhiber leur intimité devant tout le monde. Le monsieur actionne sa machine et asperge chaque élève des pieds à la tête d’une poudre blanche dont l’odeur commence à faire tousser et éternuer même les derniers rangs. Il s‘agit de poudre DDT, mais Namouss n’en sait rien. Il doit se dire que c’est de la farine, peut-être un peu avariée, et s’étonner de pareilles coutumes. Aussi, quand son tour arrive, il choisit d’en rire et se prête volontiers à ce bizutage. Après ce rite d’initiation, les élèves sont de nouveaux regroupés dans l’attente du grand événement : la formation des classes. M. Fournier apparaît, précédé par sa réputation de sévérité. L’homme est un géant, mais un géant émacié, osseux, qui flotte dans ses habits. »

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