Le cri du sablier

 

« Le cri du sablier » de Cholé Delaume (Folio). C’est le deuxième roman de Chloé Delaume, qui depuis a publié de nombreux textes, souvent d’une très grande force. On dit de ce court récit qu’il est un chef d’œuvre. Il m’a semblé que c’est surtout un livre de jeunesse, ou du moins qu’il n’appartient pas à la maturité : Chloé Delaume se laisse emporter par sa fascination, son plaisir, sa délectation des mots. Rien n’est plus indiqué pour un écrivain, mais il faut encore savoir gérer ce bonheur-là. Et vraisemblablement, l’écrivaine laisse la puissance de la langue – ce qu’elle sait parfaitement retrouver – la déborder. De la même façon qu’elle laisse son récit, son phrasé même, souvent se laisser emporter par une logique de similitude : un mot enclenche l’extrait d’une comptine, d’un proverbe, d’une expression, sans que la dite comptine, le proverbe ou l’expression ait une quelconque affinité avec son propos. Cette logique – illogisme – du discours est le fait de jeunes écrivains qui ne maîtrisent pas vraiment le flux des mots qui vient à leur plume. Automatismes, écriture automatique, surréalisme ne sont pas toujours heureux. Une fois qu’il est dit qu’il n’est pas d’un chef d’œuvre de la littérature, il est nécessaire d’accorder que ce texte est d’une rare puissance : où l’auteur évoque une relation funeste avec un père terriblement violent, et qu’elle reprend le même niveau de violence pour exprimer ce qu’enfant elle a éprouvé. Un texte zébré de cicatrices et de cris, de peurs et d’amertume, de colère surtout : un rythme époustouflant, martelé dans la réelle nouveauté d’une langue qui se fait en ellipses, de ponctuations, de mots, de formes, pour aller plus droit à l’essentiel et à sa cible. Une écriture délictueuse, hors norme et qui massacre les normes, mue par des saccades appartenant à quelque force primitive, comme une ligne de percussions ou une litanie. Un très grand petit roman de jeunesse. « L’enfant en conclut que le père la corrigeait lui-même à la maison afin de la redresser. L’enfant était poursuivie par le père qui en avait le droit. L’enfant était coupable car elle était une mauvaise graine. Les mauvaises graines, comme les délinquants, sont nuisibles. Les insectes nuisibles sont les mouches. Les mouches ne servent à rien et quand elles tombent dans un verre il faut le laver. Les fautes aussi doivent être lavées. On commet des fautes quand on est méchant. Des fois on dit qu’un méchant a fait un coup tordu. Pour éviter que l’enfant soit tordue le père lui donne des coups. Le père accorde un sursis à l’enfant pour que l’enfant se tienne droite quand il sera temps pour lui de la tuer. Les morts se tiennent toujours très droits. On appelle ça la raideur cadavérique. Tant que l’enfant ne sera pas redressée par le père elle ne pourra être une morte convenable, ce qui ferait le plus grand tort à la réputation de la famille dans le quartier. »

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