2117 Socco Tanger



" Tanger en 1947 est un excellent port d'attache entre deux civilisations. Gertrude Stein, encore elle, n'acceptait pas que Paul parlât de l' « Afrique » lorsqu'il faisait référence au Maroc. Ce pays - dont sans doute elle ne connaissait vraiment bien que Tanger, la moins arabe des villes marocaines - lui semblait devoir plus à l'Espagne qu'à l'Afrique. Et l'Espagne était un pays « romantique » alors que l'Afrique était un continent « aventureux ». L' « aventure » n'attire, disait-elle, que des journalistes ou des auteurs de livres de voyages, et non les véritables artistes. Tanger est une ville pour les artistes, un lieu où n'advient aucun événement marquant. Un lieu où aujourd'hui encore, on n'a de la rumeur du monde et des événements qui surviennent ailleurs qu'un écho étouffé, imprimé dans des journaux qui n'arrivent pas toujours, ou avec une journée de retard. À Tanger, on vit en plein décalage. Loin du courant, loin des courants. Même les flux contrariés du détroit n'y peuvent rien. Tanger est une ville par essence anachronique, elle est toujours une survivance de quelque chose, précisément lorsque ce quelque chose n'existe plus et qu'on n'arrive même plus à le nommer. C'est désormais un étang d'eau calme - ou stagnante, selon ce qu'on en pense -, posé au bord d'une mer et d'un océan qui se mêlent et s'affrontent depuis cinq millions d'années. Paul Bowles est venu à Tanger, et s'est retrouvé - ou simplement trouvé - loin de tout, loin des pays où ses livres se fabriquaient, se vendaient, faisaient l'objet de critiques ou d'éloges. New York, Paris et Londres étaient oubliés. La vie à Tanger avait quelque chose de futile, sans doute. Particulièrement à l'époque de l'apogée de la Zone internationale. Les vacances duraient toute l'année ou presque. Tout était pour rien, et lorsque Paul se retrouvait avec encore moins que rien, il faisait un aller et retour à New York pour signer une musique de scène - au moins au début, lorsque ses livres ne lui permettaient pas de vivre... Très vite, il revenait à Tanger, parfois pour en repartir aussitôt. Il revenait pour continuer à écrire. Loin de tout, mais plus près du soleil. C'est sans doute ainsi que les livres se font. Dans un endroit où personne ne vous lira. Un endroit en bout de piste, oui, loin du bruit des avions, et où les bombes n'arriveront que plus tard."



Robert Briatte, Paul Bowles, 2117 Tanger Socco, Gallica.


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