Tout va s'expliquer

Soudain, à la fin de l'année 1967, Jane part vivre avec Chérifa à l'hôtel Atlas, au coin de l'avenue Prince-Héritier et de la rue Moussa-Ibn-Noussair, dans la Ville Nouvelle.

Un minuscule "bar à tapas" jouxte l'hôtel du même nom, qui sert encore de l'alcool aujourd'hui. Jane se met à boire avec frénésie. Ivre, elle se sent revivre ; s'épanche auprès de qui veut l'entendre et fait des déclarations d'amour à tout le monde. L'Esprit de Pourim s'empare d'elle, mais ce n'est plus un déguisement. Jane boit jusqu'à ne plus distinguer le bien du mal, le beau du laid, l'origine de la fin.

Elle distribue ses bijoux, puis son argent liquide ; enfin, elle signe des chèques en veux-tu en voilà. Beaucoup de jeunes hippies, nombreux en Afrique du Nord dans ces années-là, ont profité des largesses éperdues de Jane Bowles.

Quand elle n'a plus rien, Jane donne ses vêtements... Elle finit nue dans la rue.

Personne ne peut l'arrêter.

On doit appeler Paul pour qu'il vienne la chercher.

"Hôtel Atlas

"Tanger, Maroc

"11 janvier 1968

"Paul chéri -

"Tout va s'expliquer - je veux parler de ton problème financier - dans une demi-heure. Je veux dire - je vais l'expliquer. Il est vrai que tu aurais dû avoir un compte séparé. Je n'ai pas dépensé autant d'argent que tu le penses. S'il te plaît, ne crois pas que ce problème financier est le tien, c'est le mien. Nous allons en parler et tout comprendre.

"Avec tout mon amour, Jane.

"P.-S. Alfred est le secrétaire

"Une partie de mon amour est pour Alfred -"

Extrait de Une histoire de Jane Bowles de Félicie Dubois (Seuil)