En barbares qu'ils sont...



En barbares
qu'ils sont, ils aiment s'habiller de sorte
que la mode chez eux soit un défi...
La tunique bordée de pourpre, s'ils sont romains,
d'étoiles d'or, s'ils sont byzantins...
Ils aiment tout ce que nous avons aimé,
et ils ne se le cachent pas : ils sont d'habitude, au coeur,
de modestes ambitions - surtout sur les terres des agriculteurs -
ils vont
au fond de la vallée,
où le fleuve est à sec,
chercher une flaque pour s'y baigner,
nus parmi les pierres qui ne se souviennent pas de pluies,
entre des arbustes qui semblent se nourrir rien que de chaleur,
où ils vont en quête de nids...
Puis peu à peu leur enthousiasme pour le monde
devient mauvais : leurs touffes de cheveux poussiéreux
deviennent des couronnes guerrières,
leurs nuques délicates avec leur longue rainure
deviennent des encolures de taureaux adolescents -
s'emparent des carrefours, des embranchements,
des cafés : la musique est à eux, le gerbes de foin ou de blé
sont à eux, les dimanches sont à eux !
Peu à peu leurs maillots rouges, ou jaune canari,
ou turquoise, de cyclistes, couvrent des dorsales de pères.
Ce sont eux les pères.

Et les pères véritables, qui ont construit de blancs cimetières
au dos de la colline un peu à l'écart du village
vont y pleurer.



Pier Paolo Pasolini, extrait de Royaume de genêt, dans Poèmes dispersés, in La persécution (Points). Image : Pier Paolo Pasolini et Ninetto Davoli sur le tournage du Décaméron.

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