Caia



Quand elle s'élançait soudain en courant du parasol vers la mer sans avertir personne, je ne courais pas derrière elle, pour ne pas m'exposer au ridicule, mais je la suivais tout le temps de la baignade avec la tension d'un chien à la chaîne. S'il y avait de grosses vagues, un bruit s'élevait avec ma respiration, un gargarisme, un grondement, et il m'arrivait, n'y tenant plus, d'aller vers la mer avec un calme feint pour ne pas la perdre derrière les crêtes des vagues. Lorsqu'elle plongeait avec les autres, j'étais tranquille. Peu m'importait qu'un jour elle fasse tourner la tête à l'un, et le soir à un autre. Moi, je devais la protéger. Aucun de ces garçons n'effleurerait son secret. Moi non plus peut-être, mais je m'étais mis dans la tête qu'il y en avait un, que Caia était le corps d'une révélation que l'on pouvait atteindre par l'amour. Je ne faisais pas de progrès avec elle, je ne me risquais plus à lui parler. 
Daniele était le candidat naturel à l'amour de Caia. Le soir, je l'imaginais chantant quelque chanson sur sa guitare. Sa voix avait une tonalité de mezzo tendu, un peu voilée, qu'il savait baisser dans un murmure sans perdre la musique. Il lançait son chant et en l'écoutant on se mettait à  respirer en retenant un peu d'air au fond de sa poitrine. Caia tomberait amoureuse de Daniele, maigre, compact, au sourire enjôleur. Elle ne devait pas faire attention à moi, je n'étais pas le bon candidat et je n'étais pas jaloux le moins du monde. Je n'ai jamais su s'ils ont vraiment été ensemble. Si ce fut le cas, cela dura peu de temps. L'espace d'un soir, chacun de ces garçons crut avoir été choisi par Caia et reçut de ses bras un signe de préférence. Elle regardait un garçon sous les mèches lisses de ses cheveux châtains, les yeux grands ouverts, les lèvres mi-closes, en suspens avant de parler : c'était là toute son invite. Pour elle, ces garçons étaient encore de jeunes chiens, exacts de corps, mais erronés dans leurs mots,et puis c'était l'été, il ne fallait pas trop demander aux rencontres.



Tu, mio de Erri De Luca (Folio)

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